Comme tous les ans depuis 2008, l'Inde a fêté le 24 janvier la Journée Nationale des Filles (National Girl Child Day). À l'initiative du Ministère de la femme et du développement de l'enfant, cet événement est déployé dans tout le pays et la Ministre, Smriti Zubin Irani, a elle-même tweeté un message pour promouvoir l'objectif de cette journée.
De l'actrice indienne Samantha Ruth Prabhu à UNICEF India, de nombreux indiennes et indiens relaient cette célébration des fillettes sur les réseaux sociaux.
L'objectif de la Journée Nationale des Filles est de sensibiliser la population aux inégalités auxquelles sont confrontées les filles et de promouvoir auprès de tous et, en premier lieu auprès des filles elles-même, leurs droits, l'importance de l'éducation, de la santé et de la nutrition.
L’Inde compte actuellement près de 1,4 milliards d’habitants dont un peu moins de la moitié sont des femmes. Si la femme est très présente dans l’espace public, il subsiste, dans ce pays fortement ancré dans ses traditions, une préférence pour les garçons et il reste encore aux femmes un long chemin pour atteindre une totale autonomie. Pour la très grande majorité d’entre elles, ce n’est que par le mariage qu’elles obtiennent un statut social.
Le recensement de 2011 a fait apparaitre un sex ratio (rapport entre le nombre d'individu de sexe féminin et le nombre d'individu de sexe masculin) déséquilibré en faveur des hommes. On comptait sur la population totale 946 femmes pour 1000 hommes. Plus inquiétant était le sex ratio de 918 filles pour 1000 garçons dans la population de moins de 6 ans. Le même recensement montrait d'ailleurs que, dans cette tranche d'âge, la situation s'était aggravée depuis le recensement précédent (927 filles pour 1000 garçons en 2001). Les "Femmes Manquantes" (The Missing Women). C'est par ce terme que l'économiste indien Amartya Sen, lauréat du prix Nobel d'économie a désigné ce phénomène qui est observé plus particulièrement dans les pays d'Asie (Chine et Inde notamment) du Moyen-Orient et d'Afrique. En Inde, la situation varie d'un état à l'autre.
Ce déséquilibre est très marqué dans les états du nord-ouest, à la population pauvre et peu éduquée, alors que dans le sud, les états du Kerala, du Taml Nadu et le Territoire de Pondichéry font figure de bons élèves. Très tôt, dans ces états du sud sont apparues des initiatives intéressantes comme le Cradle Baby Scheme (Des berceaux pour bébés). Lancé en 1992, ce projet se déroule dans des villes du Tamil Nadu. Il permet aux parents de laisser les bébés filles non désirées dans des dizaines de berceaux vides dans les hôpitaux, les centres d'aide sociale et les bureaux du gouvernement. Pratiquement tous ces enfants peuvent être alors adoptés.Extrait de The Hindu - 24 juillet 2010
Si cette initiative a permis de sauver de la mort des fillettes non désirées, elle n'a pas pour autant modifié le regard de la société sur les filles. Le terme "non désirée' est toujours présent dans l'esprit.
Aussi, une autre initiative, toujours dans le Tamil Nadu et Pondichéry, a vu le jour. Dans le cas où un couple a donné naissance à uniquement deux filles et si le couple s'engage à ne plus avoir d'enfants, alors, à leur majorité, chacune des filles recevra un pécule qu'elle pourra utiliser comme elle le désire.
En 2017, déjà, cette dernière action avait eu un effet puisque dans les petites classes il y avait à Pondichéry pour la première fois depuis longtemps plus de filles que de garçons.
Enfin, au niveau national, la campagne Beti Bachao Beti Padhao (Sauvez les petites filles, Éduquez les petites filles) a été lancée en 2015 afin d’équilibrer le sex ratio dans les états où il est le plus défavorable pour les filles par une incitation forte à leur éducation et des actions pour leur santé. Malheureusement, pour l'instant, l'essentiel du budget du projet a été dépensé en publicité et peu d'argent a été utilisé pour des actions concrètes (voir ici).
Logo du programme Beti Bachao Beti Padhao
Cet ensemble de mesure et les progrès fait dans certains états en faveur de l'éducation des filles ont, semble-t-il, déjà porté leurs fruits. En effet, en novembre 2021, la dernière enquête nationale sur la santé des familles (National Family Health Survey) menée sur un panel représentatif de la population indienne montrait que le sex ratio total en Inde était de 1021 femmes pour 1000 hommes. avec toujours une inégalité entre états. Extrait de The Hindu (26 novembre 2021)
Hélas, cette enquête montre qu'il existe toujours un sex ratio à la naissance (nombre de naissances de filles par rapport au nombre de naissance de garçons) défavorable pour les filles. Il ne s'est amélioré que de 919 pour 1 000 hommes en 2015-2016 à 929 pour 1 000 en 2019-2021. La préférence pour les garçons reste encore fortement ancrée dans les familles traditionnelles.
Pour lutter contre ce problème, il faut éduquer les enfants, en particulier les filles pour leur permettre de gagner en autonomie. C'est le but de la Journée Nationale des Filles.
C'est ainsi que Alice a reçu cette lettre du Département de la femme et du développement de l'enfant du Territoire de Pondichéry. Dans le cadre de cette journée, sera mené dans la maison des filles de l'orphelinat un programme de sensibilisation sur l'importance de l'éducation des filles, de leur santé et de leur alimentation. Un kit contenant des produits d'hygiène féminine et des barres de céréales sera distribué à chaque fille. Le programme débutera à 15h le 24 janvier et sera accessible via un lien Google Meet.
À l'heure dite, tout est prêt dans la maison de Palayam. Les affiches sont déployées.
L'inauguration de la conférence est suivie à distance avec attention.
Puis des exposés sont faits localement devant les petites.
Enfin, des animations sont proposées dans les locaux du Département de la femme et du développement de l'enfant du Territoire de Pondichéry et suivies à distance par tous les centres d'accueil pour filles sur le Territoire de Pondichéry. Dans ce cadre des pensionnaires de la maison des filles de l'orphelinat ont donné un concert de musique traditionnelle carnatique.
À l'orphelinat, ce n'est pas que le 24 janvier qu'on s'adresse aux filles. Depuis 2008, date à laquelle Alice a ouvert un foyer pour les filles, le maitre mot est "éducation" et "autonomie". Et ce mantra se décline tout au long de l'année : conférences dédiées aux filles, éducation à l'hygiène, activités diverses (musique, danse, ...). Pour préparer leur autonomie future, chaque fille a la possibilité de poursuivre des études aussi longtemps que leurs motivations et leurs capacités le leur permettent. Pour l'année scolaire 2021-2022, 30 filles suivent un cursus soit dans les deux dernières années du lycée, soit pour obtenir une licence voire pour deux d'entre elles pour un master.
Françoise Simonot-Lion