Ce
jour là, Alice avait une de ses petites filles avec elle ; petite
fille ? Après une enquête serrée, il s’avère que cette superbe fillette
est la fille d’un ancien pensionnaire de la maison des garçons. Alice considère
que tous les garçons et filles de Vudhavi Karangal sont ses enfants … Il s’agit
donc bien de sa petite fille.
Nous nous rendons à la maison des filles et bien sûr emmenons avec nous
la charmante gamine. Le trajet pour aller à Palayam est toujours un
enchantement. Les rizières scintillent, les palmiers ondulent dans le vent
moite, nous sinuons sur les petites routes entre rickshaws et chars à bœufs, la
petite chantonne. Et c’est toujours la surprise d’arriver dans le superbe patio
de cette belle demeure : bois travaillé, beaux piliers, plantes vertes à foison et accueil des filles tout en
sourire. Les grandes viennent de rentrer de l’école toutes pimpantes dans leur
uniforme bleu et blanc et maintenant, c’est leçon de chant.
Puis ce sera le temps de faire d’apprendre les
leçons, de faire les devoirs, de remplir les cahiers.
Actuellement 3 filles sont en cycle
pré-universitaire (spécialité commerce). Une fille est inscrite, après le collège,
pour un an dans une formation
professionnelle, avec l’objectif de
pouvoir travailler
par la
suite comme vendeuse dans un magasin. Les autres petites sont soit au collège
soit dans l’école du village. Enfin, après ses deux ans de pré-université,
Ponnarasi (voir plus bas) a intégré une école d’infirmière pour trois ans et
demie. Son inscription, cette année, a été financée, en partie, grâce à la
générosité du Zonta club de Nancy.
Nous traversons la maison en remarquant quelques nouveaux équipements au passage comme une machine à laver. Nous passons dans la
cour où jouent les plus petites
pensionnaires et allons voir les progrès de l’atelier de
couture pour la construction duquel l’antenne de Nancy s’est fortement
mobilisée depuis 2013. La maçonnerie et
le toit du premier étage sont terminés, ainsi que l’escalier
qui, monte pour l’instant sur le toit là où Alice prévoit d’installer une école
de massage / maquillage. Portes et fenêtres sont déjà acquises pour les 2
étages.
Nous flânons un peu dans le jardin avec Maran, des fillettes, Alice et
le chien … Le jardin a du être rétréci pour faire de la place à l’atelier de
couture. Mais, sous la pression des fillettes toujours coquettes, Alice
préserve un petit coin de verdure
où poussent des fleurs très prisées
par les filles pour orner leur chevelure. Dans la cour, les fillettes entourent une vieille dame
abandonnée qu’Alice a recueillie récemment et qui fait maintenant partie de
la vie de la maison
de Palayam.
Les fillettes jouent, se font belles, rêvent ;
Maran et le chien fidèle veillent, Alice câline …
Une tranche de vie dans la maison des filles
Dualité entre tradition et modernisme.
Deux filles, Ponnarasi et Manju sont sorties de pré-université en mai 2014. Elles sont toutes deux issues de tribus et sans père. Alice avait prévu de leur faire suivre des études paramédicales. Leurs mères ont souhaité les reprendre avec elles pour les marier. Les deux filles se sont trouvées alors confrontées à une situation cruciale : soit elles repartaient avec leur mère, arrêtaient leurs études et faisaient une croix sur toute vie autonome et libre, soit elles continuaient leurs études avec la menace de ne jamais être acceptées comme épouse par un homme de leur tribu, car trop diplômées. Se marier en dehors de la tribu est impensable car elles seraient reniées par la tribu. Alice défend l’autonomie pour filles et garçons, la responsabilité, la liberté pour tous mais Alice comprend le dilemme de ces jeunes filles. Manju est retournée dans sa tribu mais Alice garde un contact étroit avec elle car elle espère que les années passées à Palayam et les principes de vie qui y règnent resteront dans l’esprit de Manju et, qu’un jour, ses enfants raisonneront différemment.
Les traditions de la société indienne ont la vie dure. Il n’y a pas longtemps, à Palayam, les intouchables (Dalits) n’avaient pas le droit de traverser le village de nuit et, de jour devaient marcher pieds et torse nus. Leur travail pour la construction des maisons ou les travaux des champs étant indispensable au village, il leur avait été fait des sentiers spéciaux, protégés par de hauts murs, le long des maisons des membres des hautes castes. Alice pourrait étendre la maison et, en particulier, construire un hospice pour les femmes abandonnées, projet qui lui tient à cœur. Les maisons inoccupées et qui menacent de tomber en ruine abondent dans le voisinage mais les propriétaires ne veulent pas vendre à quelqu’un qui héberge des petits intouchables, enfants des tribus ou des basses castes. C’est contraire à la constitution (1955, mais appliquée dans les faits uniquement en 1970) mais il faudra longtemps et la volonté de personnes comme Alice et Maran pour qu’un vrai changement se fasse dans les esprits.
Françoise Simonot-Lion – Agnès Volpi – août 2014