Le Bihar
Dans le nord-est de l’Inde, à la frontière du Népal, le Bihar compte parmi les états les moins développés de l’Inde moderne. Et pourtant, c’est dans cet état que sont nées deux des plus grandes religions de l’Inde : le bouddhisme et le jaïnisme entre le 6ème et le 5ème siècle avant J.C. Plus près de nous, c’est du village de Champaran au Bihar que le Mahatma Gandhi lança le premier mouvement de désobéissance civile en 1917 contre les pratiques imposées par les planteurs britanniques aux cultivateurs de l’indigo.
Actuellement les deux principales religions du Bihar sont l’hindouisme et l’islam. Les biharis restent très attachés à leurs traditions culturelles et religieuses. C’est dans cet état pratiquement ignoré du tourisme que nous avons découvert des traditions anciennes entièrement aux mains des femmes. Si les peintures de Mithila (Voir l’ouvrage L’art du Mithila, de Yves Véquaud aux Presses de la Connaissance, Paris, 1976), initialement réalisées sur les murs dans les villages autour de Madubani, ont eu une certaine reconnaissance en occident (, les broderies sujinis y sont peu connues. Et pourtant, elles nous content avec tendresse la vie des femmes dans une région rurale du Bihar.
Les sujinis du Bihar
Dans le village de Bhusra, depuis le 18ème siècle, les femmes perpétuent la tradition du sujini (ou sujani). Les sujinis servaient de couverture aux nouveau-nés. Le terme sujini vient de su (faciliter) et jani (naissance). Initialement, ils étaient faits de pièces de vieux saris, superposés et piqués, parfois garnis de tissus déchirés pour donner de l’épaisseur à la couverture. Celle-ci était alors souvent rebrodée de motifs symbolisant les forces divines aussi bien que la vie des femmes dans les villages. Cette technique s’est transmise de génération en génération. En 1988, une travailleuse sociale, Nirmala Devi a contribué à faire renaitre cet art qui a bénéficié en 1919 du label d'excellence de l'UNESCO. Actuellement quelques coopératives perpétuent la technique du sujini, permettant à environ 600 femmes de 22 villages autour de Bhusra de gagner leur indépendance financière.
Pour découvrir cet artisanat, par un petit matin froid et brumeux, nous nous sommes rendus dans la région de Bhusra où au bout d’un chemin de terre chaotique, nous avons trouvé un de ces ateliers.
Passés le portail, nous nous retrouvons dans une petite cour de terre battue ; nous longeons une jolie maison au toit de chaume et aux murs blancs décorés de fresques qui reprennent les motifs traditionnels des broderies.
Au fond de la cour, sous l’auvent d’une maison, règne une joyeuse ambiance. Assises sur une natte, les brodeuses nous accueillent penchées sur leurs tambours à broder.
À gauche, une jeune femme brode un sari de soie mauve. C’est tout une histoire qui se déroule sur cette pièce de tissu de plus de 5 m. Le pallu, la partie qui se déploie sur les épaules et que les indiennes laissent pendre ou drapent sur leur tête, est terminé. La responsable de l’atelier dessine à main levée la suite de l’histoire qui sera ensuite brodée.
De merveilleux saris, châles, couvertures sont produits dans cet atelier. Les motifs illustrent le quotidien de ces femmes qui se représentent toujours de profil, la tête voilée et l’œil ourlé de khôl, vêtues de saris ou tuniques de couleurs vives.
La maison est un des motifs qui se retrouvent sur la plupart des ouvrages. Un récipient y figure souvent à l’intérieur. La maison s’ouvre sur la cour par une porte, la présence d’escalier montre que les maisons du village sont toutes surélevées.
Les scènes sont éclairées par un soleil éclatant. Dans la tradition populaire de la région, soleil et nuage représentent le processus de la vie.
La nature est également toujours présente.
Les animaux de la forêt ...
Les oiseaux ...
La rivière tient une place très importante dans ces communes rurales et, parmi les motifs animaliers, ceux qui illustrent la faune aquatique sont particulièrement mis en valeur. Outre les poissons, escargots et grenouilles habitent ces lieux, sans oublier les serpents, créatures sacrées.
Les sujinis illustrent aussi les travaux de ces femmes : la corvée d'eau, le ramassage du bois qui servira de combustible pour cuire le repas de la famille, la récolte des mangues, …
La broderie peut aussi montrer des instants d'intimité au cœur de la famille comme cette scène où une mère coiffe sa fille.
Enfin, les événements marquants de la famille vont également se trouver immortalisés, tel cette magnifique cérémonie de mariage.
L'art de ces brodeuses nous offre un témoignage émouvant de leur vie dans ce petit village.
Au-delà de ces broderies figuratives, les femmes de cet atelier explorent des motifs géométriques pour réaliser des couvertures ou des châles.
Actuellement la broderie sujini bénéficie en Inde d'une Indication Géographique Protégée, qui protège les savoir-faire et les techniques traditionnelles de cet artisanat. Depuis la création de coopératives au sein de plusieurs villages de la région de Bhusra, elle a offert une indépendance financière à des femmes qui souvent n’étaient pas autorisées à quitter leur domicile et se trouvaient écartées du marché du travail.
En racontant leur histoire par la broderie, les femmes se libèrent du poids d'une vie qui peut être difficile : mariage précoce, violence au sein du foyer, ségrégation sociale des sexes (le purdah) qui cloitre les femmes à la maison, travaux pénibles qui incombent aux femmes dans la famille, etc. La coopérative leur offre un lieu où elles se retrouvent, partagent leurs soucis écoutent les autres, échangent des conseils et s'allègent sans doute de leurs problèmes, assises en rond autour de la bienveillance d'une "maître" de broderie, responsable de l'atelier.
Vous pouvez vous procurer des châles reprenant certaines techniques des sujinis du Bihar (patchworks de soie et/ou tissus surpiqués) sur le stand des Orphelins de Pondichéry lors des diverses manifestations de solidarité internationale organisées à Nancy, Lunéville ou Besançon.
Nous disposons également de quelques petits sujinis originaux du Bihar qui racontent la vie des femmes. Ils sont présentés ici. Vous pouvez, si vous le désirez, en commander en écrivant à l’adresse orphelinspondichery-nancy@gmail.com.
Françoise et Matthieu











